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Distance sociale ?

« Plus il y a de distance, plus il y a de méfiance« 

Christophe André

Nous voici à l’heure du déconfinement… à certaines conditions… dont la première, celle dont on nous rabat les oreilles à longueur de journée : la distance sociale…

La distance sociale, un mètre, deux mètres… confinement… déconfinement… que de variations dans la distance à l’autre… que de paradoxes difficiles à assimiler. Contraints tout à la fois à la proximité et à la distance…

Dans la vie, c’est toujours de cela dont il est question, cet ajustement qui nous pose à notre juste place, ni trop, ni trop peu. C’est même La question d’une Vie : oser et pouvoir prendre sa juste place au monde parmi le monde.

Mais voilà, que le Virus nous impose une loi, celle du trop : trop près ou trop loin… Il abolit les nuances, nous voici contraints à la taille unique, au standard, à l’uniformité de nos vies sociales aseptisées… attention que nos cœurs ne le deviennent pas non plus.

Le confinement nous a posé aux confins de nous-mêmes, en tête-à-tête inévitable face à la vérité de notre intimité profonde… tantôt heureuse, confirmante, tantôt douloureuse et déstabilisante.

Avec nous-mêmes et avec nos proches aussi… chers à nos cœurs… mais pas toujours, pas tout le temps… quand la proximité n’est pas un partage heureux, une prox-intimité, elle revêt alors tous les atours du cauchemar quand l’espace se rétrécie et le temps s’allonge[1]

La distance prend le risque de dissoudre le lien, là où la proximité subit l’étouffe.

Distance. Durant mes études de psychologie d’orientation psychanalytique, il en a été question, beaucoup. Complété par :

– « Il ne s’agit pas d’aimer ses patients »

-« Ah bon… ? Si… un peu quand même… non ? »

J’avais décidé de les aimer quand même mes patients, clandestinement. Puis, j’ai rencontré l’haptonomie[2] et j’ai découvert une autre façon d’exercer mon métier de thérapeute. La distance s’est muée en juste proximité, les deux faces d’une même pièce qui appellent à un mouvement radicalement opposé : l’un appelle le recul, l’autre invite à l’aller vers, à la rencontre dans une juste proximité.

Tout est contenu dans ce juste. Il entend la mesure sur-mesure, une adaptation continue à ce qu’il sied à soi et à l’autre à un instant précis. C’est un juste, toujours en mouvement, à réinventer sans cesse.

La distance, elle, est taille unique.  C’est une posture qui fige là où la justesse est une danse, un mouvement perpétuel, un ajustement qui par son essence même reconnaît l’autre dans toute sa singularité. Cette reconnaissance est la base de tout travail thérapeutique, mais elle l’est aussi de toute rencontre.

Alors comment se rencontrer avec cette distance sociale nécessaire ?

De quelle distance parle-t-on d’abord ? Physique, psychique, relationnelle ?

C’est bien de distance physique dont il est question. Et il me semble important de le préciser afin qu’elle ne devienne pas une distance psychique et relationnelle. Sociale en somme.  Car comme le dit si justement Christophe André, « plus il y a de distance, plus il y a de méfiance »[3]. Ne rajoutons pas du mal au mal.

Désinfecter nos mains ne doit pas être synonyme de désaffection de nos cœurs.

Alors trouvons pour chacun, cette juste proximité qui préserve notre santé mais nous laisse le Cœur sauf. Retrouvons le plaisir de la rencontre, apprenons à percevoir un sourire derrière un masque, apprenons à le donner aussi. Il n’est pas vain, au contraire.

Marchons le cœur grand ouvert à la beauté du monde dont la période nous révèle la vulnérabilité.

Prenons soin de nous tous, tous ensemble, et de la terre, et de notre air, et des oiseaux et du ciel. Prenons soin de la Vie.

[1] https://atelier-canope57.canoprof.fr/eleve/.Podcasts/ParolesExpert/ – Entretien et échanges avec Brigitte Münch, psychologue-psychothérapeute.

[2] https://www.haptonomie.org/fr/

[3] https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-24-mars-2020-0

D’Amour et de Cœur : Lettre ouverte aux parents et aux soignants

En cette période extra-ordinaire, point de papa dans les maternités… Un petit tour pour la naissance et puis s’en vont… jusqu’au retour à la maison.

La maternité reprend sa fonction d’origine « maison destinée à recevoir les femmes pauvres enceintes, et particulièrement celles qui ont atteint leur huitième mois de grossesse, ou qui, sans l’avoir atteint, sont sur le point d’accoucher » [1], le pater y était le grand oublié. Les femmes d’aujourd’hui sont pauvres à nouveau de leurs hommes, les hommes entravés dans leur devenir père.

Le Virus est apparu et le Pater a disparu, révélant par son absence même sa préciosité.

Dans les services, les sonneries retentissent davantage, les bébés pleurent plus que d’habitude, témoins auditifs qui signent la solitude et le manque des pères. La maternité est une affaire d’hommes et de femmes. Et aujourd’hui, pour la sécurité de tous, l’équilibre est rompu. C’est la loi du Virus.

Mais la loi du Virus n’est pas la loi du plus fort, elle nous convoque au cœur de notre inventivité pour préserver la vie naissante et notre humanité même, celle qui fait que nous sommes des êtres de cœur et de lien.

La loi du Virus rend visible l’invisible, ce qui allait de soi et qui n’est plus, elle nous rend attentifs car elle ouvre notre regard, agit comme un révélateur, nous précipite vers la sauvegarde de notre humanité pleine et entière. Nous le pouvons et nous le devons.

Les maternités deviennent encore plus aujourd’hui des lieux de contraste où des vies s’éveillent là où dans d’autres services le Virus en vole. Il nous faut soutenir la vie.

Elles sont des maisons de naissance d’enfants, de pères, de mères, de parents et….de liens. Ces multiples naissances mêlées aux émotions intenses de joie, d’accomplissement ne se font pas sans peur, sans doute, sans questionnements.

Comment préserver ces fils invisibles qui se tissent au moment de la naissance entre une femme, un homme et leur enfant ? Comment soutenir ce lien naissant ?

Il n’existe pas de réponse univoque. Mais peut-être est-il question de présence, et de transmission de confiance.

De présence des pères dans l’absence pour maintenir le lien vivant, de qualité de présence des soignants et en cela, ils sont remarquables.

Les témoignages des mamans en attestent « Toutes les personnes qui ont été présentes ont été géniales, j’ai eu un bel accueil, j’ai été bien soutenue, l’équipe a été très présente pour répondre à toutes mes questions.

Je ne me suis pas sentie seule grâce à cela, malgré l’absence de mon mari. »[2]

Bravo.

Nous sommes au cœur du prendre soin, au-delà du médical. Il s’agit de prendre soin du devenir père et mères dans un contexte fragilisé, en suspension.

Malgré les doutes des soignants, de leurs sentiments parfois d’impuissance, de la frustration de ne pouvoir offrir le temps nécessaire. La présence authentique a ce pouvoir de donner une autre dimension au temps, elle lui donne du volume, et les fébriles minutes soutiennent profondément et durablement. Quand l’échange se fait au niveau du cœur à cœur, il peut prendre un parfum d’éternité.

Alors non, la loi du Virus n’est pas la plus forte, il n’y a rien de plus fort que l’humanité qui s’exprime authentiquement et qui transcende ainsi le périlleux en possible, en lien qui est plus fort que tout et qui nous fondent profondément humains.

Chères mères, ne doutez pas, vous avez tout ce qu’il faut d’Amour et de Cœur pour rendre présentes au cœur de votre enfant les voix éloignées de leur père et même de leurs frères et sœurs. Tout ce qui faisait son univers sonore avant sa naissance n’a pas disparu. Parlez à vos bébés, rassurez-les, ses voix connues pas encore retrouvées sont toujours présentes. Partagez votre tristesse, vos inquiétudes, vous avez le droit. Vos bébés les connaissent déjà.

Ne doutez pas de votre capacité à pouvoir apaiser votre enfant, il n’y a rien à faire, juste à être là, la confiance au cœur, car vous avez tout ce qu’il faut d’Amour et de Cœur…

Chers pères, ne doutez pas, vous avez tout ce qu’il faut d’Amour et de Cœur pour tisser doucement, de manière inédite, ce fil d’Ariane entre vous et votre enfant.

Ne doutez pas de votre capacité à être des soutiens solides pour vos femmes, même à travers le fil ténu du téléphone. L’absence n’a pas à être vide, elle peut être pleine et ronde de votre présence et de votre amour. Ce fil-là, transcende l’espace et le temps. Ne doutez pas.

Enfin, chers soignants, ne doutez pas, vous avez tout ce qu’il faut d’Amour et de cœur pour soutenir chaque mère qui vacille, chaque père déchiré. L’or est en chacun de vous. Vous avez le pouvoir, en un geste, un mot, une présence, un regard, dans un instant d’éternité, de faire ce don précieux de confiance. Comme des fées penchées sur le berceau du devenir père et mère, vous pouvez leur en faire le cadeau, car vous avez tout ce qu’il faut d’Amour et de Cœur…

[1] https://www.littre.org/definition/maternité9

[2] Mme T, qui a donné naissance à un petit garçon le 28/03/2020 au petit matin, à la maternité de St Julien-en-Genevois